Alabama 1963 – Ludovic Manchette & Christian Niemiec – Cherche Midi

Le pari était risqué : un premier roman français écrit à quatre mains racontant l’Amérique raciste des années ’60. Et j’avoue avoir été dubitative en le commençant, tant je craignais le pastiche, l’argot importé et maladroit (pour l’avoir déjà lu ailleurs).

Et puis non, Alabama 1963 gagne son pari haut la main : il est rudement efficace, touchant, subtile quand il le faut, drôle aussi par endroits – et surtout il s’adresse à un large spectre de lecteurs.

Si l’intrigue est classique – une série de disparitions de jeunes filles noires qui laisse de marbre les forces de l’ordre dans une région gangrenée par le racisme – le déroulement de l’action, les personnages, les rebondissements, les dialogues apportent la valeur ajoutée d’un récit qui se lit d’une traite et qui embarque son lecteur sans même qu’il s’en aperçoive.

Bud Larkin, ancien flic recyclé en détective privé suite à une affaire dont nous n’apprendrons les détails que vers la fin du récit est l’un des personnages principaux. Il est la représentation parfaite du flic alcoolique, cynique et raciste d’ Alabama. Ce qui permet aux auteurs d’analyser le racisme systémique d’une société se transmettant de génération en génération le mépris et la haine des Afro-Américains. A contre-cœur Bud accepte de travailler pour les parents de Dee Dee Rogers, la première petite fille disparue à Birmingham.

Adèle, quant à elle, femme noire cumulant les heures de ménage dans le quartier blanc, trente-quatre ans et déjà veuve, élève seule ses trois enfants. Volontaire et intelligente, ses saillis pleines de bons sens feront souvent sourire le lecteur. Par un hasardeux concours de circonstances elle se retrouve à faire le ménage chez Bud Larkin et de fil en aiguille à aider celui-ci dans son enquête. Accompagné par Adèle, Bud a plus de facilités à faire ouvrir les portes des maisons du quartier noir.

Étrange tandem que ces deux-là : le récit prend de l’envergure en intégrant leur rapprochement réciproque si inhabituel pour l’époque, la complicité qui s’installe et les prises de conscience mutuelles. Le duo d’auteurs agit par touches, par petits gestes, laissant venir graduellement l’apprivoisement de deux individus que tout oppose.

Autour d’eux le monde s’agite, Luther King marche et Kennedy meurt, des petites filles continuent à disparaître. Le Klan est toujours présent et tient à le faire savoir. Adèle et Bud ne sont qu’un fragment du monde en devenir : ils m’ont infiniment touchée.

J’espère retrouver rapidement le duo Manchette/ Niemiec, je crois qu’on tient quelque chose là !

Si c’est pas malheureux de voir ça ! Des Blancs qui traînent avec des négresses !

Mais je vous emmerde, monsieur.

Alabama 1963, Ludovic Manchette et Christian Niemiec, Editions Cherche Midi, août 2020

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